Interview: Emmanuel Nazarenko, Directeur général et associé principal, Boston Consulting Group
« On est à un momentum pour faire bouger l’économie mondiale »
Time for Transition s’est entretenu avec Emmanuel Nazarenko, Managing Director & Senior Partner au sein du Boston Consulting Group.
TF - Où en est-on aujourd’hui dans la mise en œuvre des plans de relance (Europe et France) ? Y a-t-il une convergence avec le respect des engagements climatiques ?
C’est toute une mécanique qui se met en marche, en particulier avec le Green Deal européen. Les deux sont intimement liés. Par exemple, plus d’un tiers du plan de relance européen est fléché sur des investissements favorables au climat. Même s’il faut le relativiser par rapport au PIB européen, le montant con-sacré au Green Deal (750 Md €) est significatif et montre une cohérence forte. En parallèle, des mécanismes législatifs se mettent en place : l’Europe commence à légiférer par exemple en matière de prix du carbone (la taxe aux frontières prend une matérialité) ou de normes d’émissions des véhicules individuels. Par conséquent, les choses bougent dans une cohérence d’ensemble.
TF - Que faudrait-il faire selon vous pour que cette relance soit réellement durable ?
Cela suppose de tenir compte de plusieurs aspects comme la réglementation, les fondamentaux économiques mais aussi l’appropriation par les consommateurs. Dans le cas du véhicule électrique par exemple*, la réglementation et les aides sont en train d’impulser une accélération spectaculaire, comme le solaire il y a plusieurs années : le secteur a bénéficié d’aides considérables au départ puis a connu des économies d’échelle et est devenu compétitif. En parallèle, les communautés d’investisseurs poussent les entreprises à être plus vertueuses notamment en intégrant les critères ESG dans leurs fondamentaux. Et enfin une partie de la population est prête à dépenser plus pour des solutions respectueuses de l’environnement.
On assiste donc aujourd’hui à une accélération très forte avec tous ces vecteurs de la transition orientés dans le même sens. Le momentum est là pour faire bouger l’économie mondiale. Il faut d’ailleurs se ré-jouir que l’Europe ait aujourd’hui un discours plus équilibré. Après avoir mis l’accent sur le consommateur et les prix bas, l’attention se porte aussi sur l’Europe comme base économique industrielle et comme outil de production. C’est très important pour que le continent reste une zone prospère et pas seulement un lieu d’importation. Le sujet des batteries en est une illustration et devrait servir d’exemple pour d’autres secteurs d’avenir.
TF - Quelle influence peuvent avoir les annonces récentes de Joe Biden liées au climat sur l’Europe ?
On voit bien qu’il y a une dynamique. Tout ce qui relève de l’action climatique ne peut se faire sans une coopération multilatérale et sans un cadre où il y ait une réelle convergence. Le retour des Etats-Unis constitue donc un encouragement massif pour continuer à agir dans la même direction. De plus, le fait que la Chine, les Etats-Unis et l’Europe aillent dans la même direction montre un engagement fort pour les acteurs économiques. C’est un encouragement qui s’articule bien avec le changement de prisme du monde de l’investissement. L’évolution des objectifs climatiques des Etats-Unis conforte l’Europe à pour-suivre ses propres objectifs de - 55 % en 2030. Et cela aide à faire taire ceux qui émettent des doutes ou restent dans des combats d’arrière-garde.
TF - Mais ne risque-t-on pas d’assister à l’émergence d’une concurrence sur les enjeux de souveraineté, en particulier avec les technologies bas carbone ?
Le monde doit trouver son bon équilibre. Pour des économies développées comme l’Europe, il faut continuer à maîtriser la chaîne (technologique et de production) mais sans être naïfs. La mondialisation, les échanges économiques et l’interdépendance resteront importants. L’industrie doit s’adapter et les Etats doivent aussi faire leur part pour faciliter le développement de l’industrie européenne.
TF - Justement, alors que les citoyens/consommateurs ont toujours plus d’attentes sur l’environnement et le climat, quel va être le rôle de l’État et celui des entreprises ?
Les entreprises ont un rôle fondamental à jouer pour réduire leur empreinte carbone et pour proposer des solutions et produits qui répondent aux nouvelles attentes. Elles doivent aussi aider à faire évoluer les comportements, en particulier en impulsant des offres attractives et des propositions de valeurs plus vertes. Tout cela établit des cercles vertueux. Il s’agit donc pour elles d’être à la fois réactives et proactives. Et les études montrent que les entreprises les mieux considérées par les investisseurs sont celles qui font le plus d’efforts.
De son côté, l’État doit encadrer les choses avec de la réglementation mais cela doit se faire au bon rythme, de manière ambitieuse, opérationnelle et, surtout, pas déraisonnable. Les mécanismes économiques peuvent alors se mettre en place et favoriser la transformation des secteurs.
Plus globalement, l’avenir est aussi à la mesure par chacun de sa propre empreinte : chaque consommateur doit être attentif à ce qu’il fait. En ce sens, le mouvement des jeunes générations visant à interpeller toute la société est précieux.
F - La mise en œuvre des plans de relance et de transition écologique ne va-t-elle pas favoriser une cer-taine évolution culturelle avec, notamment, l’émergence de nouvelles collaborations entre territoires et acteurs privés ?
J’en suis convaincu. Je le vois dans des projets très concrets qui émergent : c’est une tendance très claire. En effet, les élus locaux s’emparent des problématiques environnement, climat et soutenabilité à la fois pour respecter la réglementation et pour répondre aux attentes des citoyens sur leur environnement immédiat. On est ici à un niveau de responsabilité politique où l’engagement et la confiance entre élus et citoyens sont fondamentaux. On le voit sur des sujets d’économie circulaire, d’aménagement du territoire, d’énergie et en partie sur l’agriculture. La maille territoriale est pertinente et efficace. Il est donc très intéressant que cet échelon devienne de plus en plus actif pour impulser et faciliter les projets. Et cela se matérialise de plus en plus.
* Selon une étude récente du BCG, la vitesse d’émergence du VE est avancée de quatre ans : l’année où la moitié des véhicules vendus seront des VE sera 2026 et non 2030 comme anticipé précédemment.