3 Questions à Gilles Lecaillon, fondateur d’Ecocean

 
 

TF - A quelles problématiques vient répondre le Biohut® ?

GL - Depuis les années 50, le nombre d’espèces marines en danger n’a cessé de croître et le capital naturel des ressources côtières (poissons, crustacés, mollusques…) a fortement diminué. Les causes de ce phénomène sont nombreuses : parmi elles on peut citer le changement climatique, l’apparition d’espèces envahissantes, la surexploitation des ressources, la pollution et enfin la destruction des habitats ou l’artificialisation du littoral, pourtant connu pour abriter des habitats essentiels dans les cycles de vie des animaux marins.

Pour lutter contre ce phénomène de disparition de certaines espèces marines et en particulier de diminution des habitats nurseries côtiers, mon équipe a proposé après plusieurs années de recherche des solutions opérationnelles de restauration écologique à destination des ports de plaisance et des ports de commerce.

Les zones riveraines et littorales sont de plus en plus touchées par les activités humaines et de nombreux jeunes animaux marins côtiers présents dans ces zones peu profondes se heurtent à une absence d’habitats naturels. Dans le cycle de vie des animaux marins côtiers, les larves ou post-larves (nouveau-nés) reviennent sur ce littoral et recherchent un habitat favorable à leur développement (nurserie). Or, ces habitats sont souvent dégradés/détruits, il y avait donc nécessité d’agir !

 

TF - Comment le Biohut® répond-t-il concrètement à ces problématiques ? 

GL - Pour répondre à cette problématique, mon équipe et moi-même avons développé plusieurs solutions afin d’aider ces très jeunes stades de vie à passer un cap crucial dans le cycle de vie. Une de ces solutions de restauration écologique est appelée le Biohut® : une nurserie artificielle composée d’un ou plusieurs modules en acier (100% recyclable) remplis pour certains d’un substrat naturel (souvent des coquilles d'huîtres recyclées : zone de nourrissage) et d’autres tout simplement vides (zone refuge). Ces Biohut sont installés, en surface, dans les ports, précisément sous les pontons, sur les quais ou sur les digues, et ont tous le même objectif de redonner à ces zones équipées la fonction initiale de nurserie. Les modèles diffèrent en fonction des espèces que l’on veut aider.

La biodiversité spontanée qui se développe au sein même de l’habitat naturel coquillé présent dans ces « hôtels à poissons » renforce le pouvoir d’attraction de ces modules pour les très jeunes stades de vie. Or, pour le bon fonctionnement de la nature, la diversité est une des clés de la résilience, elle permet de résister aux forçages environnementaux et de lutter contre les espèces envahissantes.

Les bruits biologiques produits par les nombreux crustacés présents ou les oursins qui broutent la flore fixée dans ces « hôtels à poissons » reproduisent le bruit naturel d’un écosystème côtier en bonne santé. Ces sons (7 fois plus puissants que dans n’importe quel autre endroit du port) servent de guide d’orientation aux jeunes larves qui viennent coloniser la côte.

Cette grande diversité de nourriture, depuis les minuscules isopodes aux petites crevettes bouquets, participe activement au redémarrage des premiers maillons essentiels de la chaîne trophique. Les jeunes poissons y trouvent « le couvert en plus du gîte ». Ils peuvent donc s’y nourrir, et également se protéger des prédateurs ce qui fait que la nurserie est efficace. On a créé une solution vraiment biomimétique !

Cela ne s’est pas fait en un jour : pour comprendre la biodiversité, il faut du temps…il aura fallu près de 5 années de recherche et de développement pour démontrer et valider scientifiquement (nombreux cas d’études, 3 thèses doctorales et des publications scientifique à l’appui) que la fonction de nurserie perdue lors de la création d’aménagements portuaires pouvait être réparée par l’ajout de ces « hôtels à poissons ».

A ce jour, plus de 120 especes de poissons marins et près de 221 espèces de faune vagile ont été observées dans les Biohut® (base de données nappex/respire au 31/03/2021).

 

TF - Quel serait le scénario idéal de développement des Biohut® ?

GL - Depuis 2013, des milliers d’heures de suivis ont été effectués à la fois dans les ports, sur les digues, dans des zones naturelles, sur les Biohut® et sur des zones témoins. Toutes ces connaissances nouvelles obtenues sur et autour des Biohut sont aujourd’hui regroupées dans une grande base de données NAPPEX/RESPIRE. Cette base permet, entre autres, d’alimenter un réseau de surveillance de la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (réseau RESPIRE). Ce réseau permet de mieux comprendre l’arrivée de ces jeunes individus sur le littoral méditerranéen mais également de calibrer l’effet des équipements de nurseries artificielles dans les ports engagés. Ce sont grâce à tous ces retours d’expériences que l’équipe d’Ecocean se concentre pour perpetuellement innover et s’adapter à la nature. Nos solutions Biohut sont fondées sur la nature : elles s’inspirent du vivant et sont biomimétiques autant par les fonctions écologiques qu’elles apportent au milieu que par le changement de paradigme qui en découle : nos solutions sont « zéro déchet » et impliquent un nouveau type de modèle économique plus durable, l’économie de la fonctionnalité.

Nous souhaitons disséminer nos connaissances et nos savoir-faire reconnus en Méditerranée vers d’autres écosystèmes marins : le Maroc, le Danemark, les Philippines voient les premiers projets Biohut démarrer. Enfin, nous avons initié un nouvel axe de développement vers les écosystèmes continentaux, avec des fonctionnalités complémentaires (nurseries) mais aussi très différentes (frayères). L’eau douce est un nouvel écosystème qui nous permet de poursuivre notre apprentissage pour continuer à mieux protéger la nature.

Ces 3 questions sont issues de l'AMI Transition Forum. Biohut fait partie des cinq projets lauréats.

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Préserver la biodiversité marine - Les biohuts d’Ecocean

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