Q&A avec Graciela Chichilnisky
Economiste, principale architecte du marché du carbone du protocole de Kyoto, et autrice principale du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a reçu le prix Nobel.
Q : Graciela, parmi vos nombreuses réalisations importantes, vous êtes à l’origine du marché du carbone du protocole de Kyoto. Quel a été l’impact du protocole de Kyoto dans la lutte contre le changement climatique ?
A : L’impact du marché du carbone du protocole de Kyoto (EU ETS à Bonn), que j’ai créé et rédigé - et qui est devenu une loi internationale en 2005 - peut être mesuré à partir de quelques statistiques importantes de la Banque mondiale : en 2012, le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) représentait 175 milliards de dollars par an ; le SEQE a permis de réduire les émissions de CO2 de 30% dans les pays y participant, à savoir les pays de l’OCDE moins les Etats-Unis ; le marché du carbone a transféré, en très peu d’années, plus de 100 milliards de dollars à des pays à faible revenu et à des projets verts par le biais du mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto. Et ce, depuis 2005 seulement.
Il existe désormais des marchés du carbone similaires en Chine - un marché national qui concerne 1,3 milliard de Chinois ; il existe des marchés du carbone aux Etats-Unis (en Californie et dans d’autres Etats de l’est des Etats-Unis) ; et bien sûr, le SEQE-UE dans l’UE, et un certain nombre d’autres marchés locaux. L’accord de Paris des Nations-Unies de 2015 ne prévoit pas de limites nationale d’émissions de CO2, ce qui affaiblit l’effet du marché du carbone des Nations-Unies au niveau mondial, qui est basé sur des limites nationales d’émissions. J’espère que cette situation internationale changera bientôt.
Q : Votre entreprise, Global Thermostat, a créé une technologie révolutionnaire “Carbon Negative”. Comment cette technologie fonctionne-t-elle ?
A : La technologie de Global Thermostat élimine le CO2 directement dans l’air ambiant ou les cheminées des centrales électriques et des sources industrielles. Elle est très peu coûteuse car elle nécessité peu d’électricité, utilisant principalement la chaleur à basse température pour l’alimenter, et elle ne nécessite aucun transport. Nous utilisons un sorbant breveté qui a une affinité naturelle avec le CO2 pour capturer le CO2 dans des monolithes qui offrent la meilleure technologie d’absorption à faible coût. Ensuite, nous séparons le CO2 en utilisant la chaleur à basse température, produisant ainsi du CO2 pur à 98,5% à un coût record. A son tour, le CO2 peut être vendu de manière rentable pour dessaler l’eau, produire des plastiques biodégradables et des fibres de carbone, des boissons et des aliments, des engrais biologiques et des matériaux de construction, entre autres.
J’ai co-inventé cette technologie avec le co-fondateur de Global Thermostat, Peter Eisenberger, et j’ai obtenu plus de cinquante brevets valides dans 147 pays. Nous commercialisons maintenant notre technologie d’élimination du carbone en produisant du CO2 qui est utilisé et stocké selon les besoins pour les boissons gazeuses et pour les matériaux.
Q : Êtes-vous optimiste quand à l’avenir de notre planète ?
A : Je suis optimiste quant à notre capacité à inverser et à surmonter le changement climatique - en effet, c’est pour cela que notre entreprise Global Thermostat a été créée, qu’elle peut le faire et qu’elle commence déjà à le faire. De ce point de vue, je suis optimiste. Cependant, je ne suis pas aussi optimiste en ce qui concerne le calendrier : nous manquons de temps pour trouver des solutions, car nous avons émis trop de CO2 et nous sommes proches d’un “point de non-retour” dans l’atmosphère.
Les êtres humains peuvent être lents à réagir et à s’adapter au changement et très lents à adopter de nouvelles technologies, et l’économie, en tant que discipline, est lente à adopter de nouvelles technologies et à réagir aux nouvelles menaces. Nous avons les outils, mais nous n’avons peut-être pas le temps ou l’organisation sociale nécessaire pour les déployer. La situation est très proche. En fait, il s’agit maintenant d’une situation “touch and go”.
Pour visionner un court-métrage sur Global Thermostat intitulé Carbon Negative, produit par John Stember et Paul Atkins, un cinéaste récompensé par un Emmy Award pour National geographic, CLIQUEZ ICI